La pandémie du Covid-19 a pas mal changé nos habitudes pendant quelques mois. Sur le plan sportif, ça a été pour moi un tournant. L’envie de m’évader en marchant tranquillement, sans pour autant aller très loin.

Ça a été aussi l’occasion de marcher avec mon épouse Katy et de pratiquer une activité ensemble. Un rythme propice à la réflexion et à de longues discussions. On est ainsi passé de marches de 4 à 8 km en tournant en rond dans le périmètre autorisé de 1 km.

Puis, au fil du dé-confinement, on a allongé les parcours jusqu’à 25 km sur une demi-journée. Le contexte du Covid m’a fait redécouvrir une activité que j’avais délaissé au profit de la course à pied.

Autant la course impose de se recentrer sur soi, son rythme, son souffle et ses efforts. Autant la « lenteur » relative de la marche permet à notre corps de rester en éveil. Notre capacité cognitive ne rentre plus en conflit avec la gestion de l’effort, chacun trouve sa place.

Avec la marche, j’ai de nouveau conscience de prendre possession du temps qui passe. L’agréable sensation de m’ouvrir sur l’extérieur et m’imprégner de ce qui m’entoure par tous mes sens.

Le challenge

À chaque fois que je me (re)lance dans une activité, j’aime me donner des objectifs ambitieux qui aient du sens. Je vois ça comme un moyen pour me motiver, mais aussi comme une manière de jalonner un parcours et de vivre de nouvelles expériences.

Le chemin de Compostelle

L’idée de suivre le chemin de Compostelle me trotte dans la tête depuis quelque temps. Le frein a toujours été de prendre le temps nécessaire à une telle entreprise. Mais en tout cas, l’idée de passer là où des milliers, des centaines de milliers de personnes sont passées pour un long voyage spirituel, m’a toujours séduite

Rallier une ville depuis Belfort, là où j’habite a aussi toujours eu du sens pour moi. J’aime cette idée de partir à pied un matin depuis chez moi et aller rendre visite à quelqu’un.

L’opportunité

De fil en aiguille, un défi me vient assez rapidement en tête celui de rallier Chalon-sur-Saône pour rendre visite à ma mère pour son anniversaire, elle vient d’avoir 84 ans. Le plus beau des cadeaux me semble d’offrir quelque chose pour lequel on a consacré du temps, pour lequel on s’est investi personnellement.

J’ai la chance d’avoir le chemin de Compostelle qui passe devant la maison : c’est décidé, je suivrai ce chemin le plus loin possible avant de rejoindre Chalon sur Saône.

J’en parle à Katy pour partager ce challenge avec elle, mais le parcours est trop long. Elle m’accompagnera sur le début de la première étape et c’est déjà d’un grand réconfort.

L’esprit du voyage

Mon objectif étant maintenant clair, il me reste à définir l’esprit dans lequel mener cette micro-aventure. Comme beaucoup de personnes, depuis l’histoire du Covid-19, j’éprouve un besoin vital de lâcher prise et de faire une coupure.

Le monde qu’on a construit nous détourne de l’essentiel et notamment de notre environnement. On s’enferme dans des villes, j’ai envie de grands espaces. On se recentre sur nos peurs en multipliant les protections de toutes parts, j’ai envie de me sentir vulnérable, de me sentir vivre tout simplement. L’espace d’un temps, j’ai envie d’être un élément de la nature comme un autre. Pour toutes ces raisons, mon voyage sera minimaliste, je partirai le plus léger possible et je dormirai toutes les nuits à la belle étoile.

La préparation

Je sais que la marche est très différente de la course et que je devrais entraîner mon corps à l’effort. Je sais aussi que pour prendre du plaisir lors de ce défi, je devrais être bien préparé, ne pas souffrir à cause de détails mal pensés comme le choix du matériel ou l’allure à adopter.

Sur ce blog, je conseille depuis maintenant plus de dix ans des plans d’entraînement pour la marche sportive. C’est l’occasion de m’en servir à nouveau pour engloutir des km et endurcir mon corps. Car il ne faut pas se mentir, la préparation prime avant tout : le challenge en est la récompense.

Le parcours

La recherche d’informations

Je me renseigne assez vite sur l’itinéraire à suivre pour me rendre à Chalon. Je tombe sur un site internet RadioCamino. Il est tenu par Sylvie une blogueuse passionnée de marche sur Compostelle. Une de ses vidéos me conforte dans l’idée de suivre ce chemin même si ce n’est pas pour les mêmes raisons.

Habituellement, j’aime bien marcher avec une carte IGN au 1/25.000 ème. Mais pour ce voyage, la distance est trop longue. Il me faudrait 12 cartes à 13,20 € = 158,40 €.

Le choix du numérique

En suivant les conseils de Sylvie, je consulte des itinéraires sur www.jakobswege-europa.de un site allemand sur lequel je télécharge mon parcours GPS qui se trouve sur l’axe Thann-Cluny. Je l’importe sur mon application Openrunner pour reconstruire la trace GPS. Je décide donc de passer au numérique avec une carte sur mon Iphone : c’est pour moi une nouveauté.

L’air de rien, cette décision implique de devoir réfléchir à la recharge de mon téléphone qui s’épuise au bout d’une demi-journée lorsque j’utilise la carte avec l’application. Vu le parcours et l’esprit de mon aventure, mon choix se porte assez rapidement vers l’usage d’un panneau solaire pour être totalement autonome.

Mon parcours initial se découpe en 6 étapes sur 300 km. Je ferai donc environ 50 km par jour en suivant le chemin de Saint Jacques de Compostelle jusqu’à Mercurey avant de bifurquer sur Chalon sur Saône.

La liste de matériel

Le choix du matériel est une affaire de compromis. On a besoin de tout, mais on ne peut pas tout emmener : il faut faire des choix. Et choisir, c’est renoncer à certaines choses, surtout dans un esprit minimaliste.

S’alléger au maximum pour que la marche soit plus facile, c’est tirer profit des ressources de son environnement. Il faut juste prévoir un minimum les choses et prendre confiance dans sa capacité à s’adapter au contexte.

Choisir des zones de couchage avec de l’herbe pour éviter d’emmener avec soi un matelas épais, identifier des zones pour acheter de la nourriture permet de ne pas stocker les repas à l’avance, localiser des cours d’eau permet de laver son linge en cours de route et minimiser le nombre de rechanges, choisir des haltes à proximité de ville ou de bourg permet d’accéder à des abris en cas de pluie pour passer la nuit et ainsi éviter de prendre une tente avec soi, etc.

Cette logique qui m’a permis de minimiser mon sac à 3,7 kg sans compter l’eau.

Portage

  • sac à dos 20 litres
  • sac poubelle pour une doublure étanche
  • compartiment pour la nourriture

Couchage

  • sac de couchage léger confortable jusqu’à 1 °C
  • housse de compression
  • tapis de sol en mousse
  • couverture de survie

Alimentation

  • 2 bouteilles de 1,5 litre
  • 2 sandwichs pour le premier midi
  • 8 barres de céréale

Habillement

  • polaire légère
  • veste imperméable et respirante avec capuche
  • sur-pantalon imperméable et respirant
  • 2 tee-shirts blancs manches courtes
  • 2 paires de chaussettes
  • 2 caleçons
  • casquette avec saharienne
  • paire de chaussures de marche tige basse

Accessoires

  • couteau suisse
  • panneau solaire et sa batterie de 2000 mAh
  • lampe frontale et 6 piles de rechange
  • smart phone
  • montre GPS
  • 2 câbles de recharge

Pharmacie

  • pommade anti-friction
  • crème solaire
  • tire tiques
  • 4 boules Quiess
  • 4 Compeed
  • produit anti-moustique

Papiers

  • Cartes : identité, vitale, mutuelle, bancaire
  • 80 € en liquide
  • livre : « Une vie à coucher dehors » de Sylvain Tesson
  • 3 feuilles blanches A4 + un stylo
  • rouleau de papier toilette

L’entrainement

Pour mon plan d’entraînement, j’ai décidé de faire toutes mes séances avec mon sac à dos rempli pour habituer mon corps et optimiser mes réglages.

Progressivement, je suis monté jusqu’à 100 km sur une semaine en augmentant mes sorties longues jusqu’à 30 km. Ma dernière sortie longue fût de partir de la maison et de monter au Ballon d’Alsace rejoindre Katy et ma fille cadette Jeanne pour un pique-nique.

Je me sens prêt pour partir.

La marche

Je m’étais donné la liberté de choisir le jour du départ pour éviter la pluie au maximum. Par expérience, je sais que la pluie use l’organisme.

Par chance, le mois de juillet commence par une belle semaine ensoleillée. Je décide de saisir cette opportunité pour partir. Je n’aurais pas de pluie, mais de fortes chaleurs. Les situations idéales n’existent pas et il ne faut pas attendre que tous les feux soient au vert pour partir.

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La veille du départ, je fais le point sur mon matériel et m’assure de ne rien oublier. Une seule chose manque et cela peut pénaliser tout un voyage. C’est un moment auquel j’apporte une grande importance.

Jour 1 : Belfort – Villersexel

57 km | 900 m D+ | 1000 m D- | 10 h de marche

Le matin

Départ 7:00, je quitte la maison avec Katy qui a la gentillesse de m’accompagner sur le début du chemin de Compostelle. Nous avions déjà repéré ce tronçon lors de mes sorties d’entraînement.

Une petite pluie fine nous rafraîchit comme un brumisateur. Je sais que ça ne durera pas, car la météo sera plus clémente en milieu de matinée.

Chemin sur les hauteurs de Buc (Territoire de Belfort)

Les kilomètres défilent vite en sortant de Belfort. Nous passons Essert, Buc, le Mont Vaudois et nous rejoignons Héricourt, petite ville de Haute-Saône où nous avons rendez-vous avec notre fille ainée Marie pour le retour de Katy sur Belfort.

Après un selfie pour immortaliser le moment, je reprends la route aussi sec pour arriver à Villersexel avant la fermeture des commerces car je dois acheter la nourriture pour le lendemain.

Toutes les 5 minutes, je regarde ma montre pour contrôler ma vitesse. Un réflexe de runner qui aime toujours connaître son allure. J’anticipe chaque carrefour par un petit contrôle sur mon GPS pour savoir où tourner par peur de louper une indication. Le balisage du chemin de Compostelle est soigneusement fixé sur des arbres ou des poteaux. Malgré tout, la crainte de faire des kilomètres inutiles est ma hantise.

L’après-midi

J’arrive vers l’heure de midi à Chavanne, un petit village où un ancien lavoir m’invite à m’assoir. C’est ma première pause et je savoure avec délectation les sandwichs que Katy m’a préparés le matin même.

Je recharge mon téléphone avec la batterie du panneau solaire. Je profite de cette pause pour renouveler la pommade anti-frottement sur mes pieds, puis je remets de la crème solaire sur mon visage, mes bras et mes jambes. Je répéterai ce rituel sur tout le parcours.

L’après-midi, je passe à Granges-le-bourg, un beau petit village Comtois surplombé d’une ruine de château médiéval qui lui donne un certain caractère. Je savoure ce moment en me disant que je ne repasserai peut-être jamais dans cet endroit loin de tout.

Vue d’ensemble de Granges-le-Bourg (Haute Saône).

Après quelques passages sur des chemins cachés par des herbes hautes – qui témoigne du peu de passage – j’arrive sur les hauteurs de Villersexel. Je suis à l’heure et ma priorité est de faire les courses pour le lendemain. Lorsque j’arrive dans l’Intermarché avec mon sac sur le dos, je ressemble plus à un vagabond qu’à un marcheur en quête d’absolu. Après avoir reconstitué mon stock de vivre et d’eau, je recherche un endroit pour me poser au bord de l’Ognon, le cours d’eau local que je connais bien pour l’avoir descendu à plusieurs reprise en canoë.

Le soir

Je trouve un endroit au calme en sortie de ville après la base nautique. Je m’allonge, je suis serein. J’en profite pour recharger ma batterie de panneau solaire et je constate avec surprise qu’elle ne s’est quasiment pas chargée pendant mon parcours, sans doute un problème d’orientation. J’apprends.

Je suis entouré de plusieurs familles qui pique-niquent et quelques jeunes en démonstration avec leurs scooters. J’en profite pour manger tranquillement devant la lenteur du courant de l’Ognon. Mon esprit s’apaise de plus en plus.

Au bord de l’Ognon à la sortie de Villersexel (Haute Saône).

La nuit tombe et je déploie mon tapis de sol sur lequel je dépose soigneusement mon duvet. J’en profite pour lire un peu, je ressens une sensation de liberté qui me donne la chair de poule. Je mesure la chance de pouvoir prendre ce temps en marge de ma vie trépidante qui ne tient debout que par la dynamique des projets qui s’enchaînent. J’ai laissé mon confort à la maison et je me sens nu. Je ressens le début d’un voyage intérieur sans artifice.

C’est sans aucun doute le premier moment fort de mon voyage. Le fait d’accepter de s’endormir à la belle étoile, sans tente, en se sentant vulnérable est toujours très particulier. Les peurs accumulées durant toutes ces années à vivre dans le confort ont du mal à s’estomper. Mon esprit lutte, mais la fatigue l’emporte et je m’endors.

Jour 2 : Villersexel – Grachaux

58 km | 1200 m D+ | 1100 m D- | 11 h de marche

Le matin

Il est 5:00, je me réveille avec les prémisses du lever du jour sous une légère brume. Je n’ai pas passé une bonne nuit notamment parce que je m’étais installé sur les rives de la rivière légèrement inclinée. Ça a été suffisant pour me faire glisser régulièrement.

L’avantage de se lever tôt est de pouvoir prendre son temps, j’en profite et j’observe la ville qui s’éveille. Après avoir fait le point sur mon itinéraire de la journée, je me lance en direction de Maizières, un petit village identifié au km 100.

Le matin est frais et je pars avec ma polaire, ma veste et mon pantalon. Je me félicite d’avoir emporté cet équipement avec moi. Après avoir quitté les rives de l’Ognon, la matinée passe vite. Je me nourris des paysages comtois en prenant le temps de bien les imprimer dans la mémoire.

Je regarde de moins en moins ma montre pour voir ma vitesse, une fois toutes les heures me suffit. Ma confiance en orientation augmente et je vois maintenant les balisages de Compostelle de très loin. Ça rend de moins en moins nécessaires mes contrôles sur la carte de mon Iphone. Je me laisse porter par le chemin qui tisse comme un fil invisible.

L’après-midi

Vers midi, j’arrive à Filain un village magnifique qui s’est développé avec grâce autour d’un château imposant. Je découvre avec surprise les beautés cachées de la Haute-Saône pourtant proche de chez moi. J’en profite pour faire une pause et déjeuner face à tant de beauté architecturale.

Le château de Filain (Haute Saône).

Le soleil commence vraiment à cogner, je m’hydrate de plus en plus. Avant d’arriver à Maizières, je traverse là encore une merveille de village : Fondremand. Un village classé avec une atmosphère qui donne vraiment envie d’y passer un week-end. Je circule dans les rues au ralenti et découvre des monuments historiques majestueux. Je suis à deux doigts de changer mon itinéraire pour dormir ici.

Malheureusement, il est trop tôt dans la journée et je préfère continuer ma route. Je sais que les kilomètres les plus durs sont à venir. Prendre du retard maintenant est un luxe que je ne peux pas m’offrir. Voulant recharger mon Iphone sur la batterie du panneau, je m’aperçois que j’ai paumé le câble. La batterie est faible et je passe un dernier coup de fil à Katy pour l’avertir de cet incident en lui disant que je ne pourrais pas l’appeler pendant 1 jour ou deux le temps de racheter un câble et surtout qu’elle ne s’inquiète pas.

J’arrive à Maizières, mes réserves d’eau sont vides. Je demande à une dame qui jardine de bien vouloir remplir mes bouteilles. Elle m’invite à m’assoir à l’ombre. Rejoint par son ami nous commençons à discuter. Ils m’offrent un café, un yaourt fait maison et quelques prunes ramassées le matin même. Je ne les connais pas mais je me sens bien avec eux, une confiance naturelle se crée. Pendant une heure, nous refaisons le monde. C’est seulement au moment de se quitter que nous nous présentons. Mes hôtes s’appellent Marie et François. La beauté d’un village ne tient pas qu’à ses pierres, mais aussi au cœur de ses habitants. Je ne les oublierai pas.

Le soir

Je décide de continuer ma route à la recherche d’un endroit pour dormir. Les kilomètres défilent en direction des premiers monts de Gy. Je traverse un grand bois sur 8 km et je m’arrête dans le petit hameau de Grachaux pour manger et dormir. Ce petit village sur les hauteurs d’Oiselay-et-Grachaux, constitué de quelques maisons, est à l’écart de tout.

Une dame vient à ma rencontre pour discuter. Les seuls marcheurs qui passent par ici sont ceux qui suivent le chemin de Compostelle. Elle m’explique son désir de faire ce pèlerinage qui malheureusement ne peut pas se concrétiser à cause de sa condition physique. Elle me préconise un petit pré à l’arrière du village pour établir mon bivouac. Un endroit utilisé par un pèlerin trois mois plus tôt qui faisait le parcours avec son âne. Puis, elle m’invite à passer à la maison le lendemain pour prendre le petit-déjeuner et prendre une douche. Je refuse poliment en lui disant que je partirai très tôt le lendemain.

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En arrivant sur place, je croise un chevreuil et quelques ruches désaffectées. Je me pose et casse la croûte avant de lire un peu et de m’endormir.

Jour 3 : Grachaux – Gray

43 km | 500 m D+ | 600 m D- | 8 h de marche

Le matin

Il est 5:00, je me réveille toujours fatigué. J’ai encore mal dormi. L’inquiétude de ne plus avoir de carte et de ne plus pouvoir donner de nouvelles a perturbé mon sommeil.

Après un petit-déjeuner rapide, je décide de reprendre la route et je me lance sur Gy. Je sais que j’y trouverai probablement un nouveau câble pour recharger mon portable. Les monts de Gy sont magnifiques. Je connaissais ces coins-là pour y être passé en coup de vent lors d’un trail, mais cette fois-ci le rythme de la marche me permet d’en profiter vraiment.

J’arrive à Gy pour me ravitailler. Pas de soucis pour le câble : les accessoires de téléphonie font partis des biens de grande consommation. Je peux enfin recharger mon portable et appeler Katy pour la rassurer.

Je continue ma marche en étant heureux, mes batteries et mes réserves sont pleines. Il suffit de peu de choses…

Désormais, je ne regarde plus ma vitesse. Ma montre ne fait que m’avertir de chaque nouveau kilomètre passé. Cette info m’est suffisante pour savoir que j’avance. La vitesse ne m’importe plus, je veux juste profiter du moment : ici et maintenant. Je ne regarde plus ma carte et je me laisse guidé comme aimanté par le balisage du chemin. Je me sens en confiance.

L’après midi

Au bout de quelques kilomètres je trouve tout de même étrange de marcher plein ouest au lieu d’un cap sud-ouest. Ce constat, rapidement esquissé par rapport à la course du soleil, m’invite à consulter ma carte. Je ne suis plus sur le bon chemin. Depuis Gy, je suis une autre route qui pourtant est toujours balisée avec les coquillages de Compostelle. Je commence à douter de la carte téléchargée sur Internet…

Quoi faire ? Demi-tour sur 10 km pour suivre le chemin initial qui est peut-être erroné ou faire confiance au balisage. Je décide de faire confiance au terrain et je file en direction de Gray où je ferai le point. Le parcours est moins fun et se fini sur 10 km le long de la D 474. Agacé par cet imprévu, je marche d’un bon train. Je fonds sur Gray et me dirige directement vers l’office du tourisme.

Je comprends alors que j’ai suivi un chemin de Compostelle qui relie la voie menant au Puy-en-Velay au lieu de suivre celle menant à Vézelay. Je me suis planté ! En faisant une confiance aveugle aux balisages, je n’ai pas su lire la bifurcation qui en toute logique à dû figurer sur mon parcours. J’apprends là encore.

De tout problème, naît une opportunité. Voyager, c’est accepter l’imprévu. Dans le cas présent, ce sera d’adapter mon parcours. Je fais tout de suite le lien entre Gray et Chalon sur Saône. Ces deux villes sont reliées par la Saône. Après avoir pris quelques renseignements à l’Office du tourisme, je réoriente mon voyage en longeant les rives de la Saône. Cette décision me ravit, car elle a le mérite d’être simple et rafraîchissante.

Je refais le plein de vivre à l’Intermarché, décidément cette chaîne est partout dans nos campagnes. Puis je reprends ma route avec l’idée de finir les 150 km restant sur 3 jours.

Le soir

Je quitte Gray à la recherche d’un coin pour dormir. Les 5 premiers kilomètres ne sont pas les plus beaux, mais l’air de rien me conduisent vers une berge magnifique ouverte sur la Saône avec quelques coins d’ombre. Ce sera mon bivouac pour cette nuit. Cette étape assez courte me permet de profiter de la fin d’après midi. J’en profite pour me baigner et rincer mon linge.

Les rives de la Saône à la sortie de Gray (Haute Saône).

Le temps s’égraine lentement, je me sens de plus en plus serein et vraiment libre. Même si une nouvelle inquiétude naît de mon panneau solaire. Des faux contacts au niveau de la connectique empêchent la charge de la batterie. Après plusieurs interventions pour déformer les prises avec mon couteau suisse, je parviens à recharger ma batterie. Ouf !

Un bateau de touristes allemands vient accoster près de mois. Nous cohabitons sur ce petit coin de paradis. La nuit tombe doucement et je m’endors la tête dans les étoiles.

Jour 4 : Gray – Auxonne – Saint Jean de Losne

68 km | 350 m D+ | 400 m D- | 13 h de marche

Le matin

Il est 5:00, je me réveille en pensant à ma prochaine étape. Tous les indicateurs sont au beau fixe sauf la fatigue qui commence à se faire sentir de plus en plus. Je ne suis pas inquiet, car mon expérience sur de longs trails m’a toujours appris que malgré la fatigue, on en a toujours sous le pied.

Je suis la piste bleue qui est indiquée en vert sur le chemin, l’office du tourisme m’avait prévenu. Elle fait partie d’un réseau de pistes cyclables qui longent les nombreux cours d’eau. Celle-ci est balisée jusqu’à Lyon et évidemment passe par Chalon sur Saône.

Arrivé dans le département de la Côte d’Or, je traverse le village de Talmay. Au cœur, un château visible depuis plusieurs kilomètres attisait ma curiosité. Une fois sur place, je m’autorise un petit écart sur mon parcours pour le voir : il est grandiose et superbe.

Le château de Talmay quelques kilomètres avant Pontailler-sur-Saône (Côte d’Or).

En suivant le parcours, je comprends vite que certaines boucles peuvent être raccourcies en empruntant des sentiers parfois plus près du parcours de la Saône. Je décide de tirer au plus cours et d’alterner piste cyclable et chemin.

L’après-midi

En procédant ainsi, j’arrive plus tôt que prévu à Pontailler-sur-Saône. Je m’y arrête pour manger le midi dans une boulangerie bien au frais. Je recharge mes batteries et englouti un sandwich long comme le bras.

Le soleil cogne de plus en plus, mais j’avance en direction d’Auxonne toujours en longeant la Saône. Elle s’élargit de plus en plus, alimentée au fil de l’eau par de multiples affluents. Le courant semble faible. Les vaguelettes formées par le vent, semblent faire croire que la rivière remonte dans son lit.

Un léger vent caresse ma peau, mais la voûte de mes pieds commence à chauffer de plus en plus. À chaque pause, j’aère mes pieds et leur offre un petit massage. Mais cette fois-ci, je constate de grosses plaques rouges sur mes pieds, je fais une allergie. Mes pieds me démangent. Je décide de changer de chaussettes et limite l’usage de la crème anti-frottement au niveau des doigts de pied.

J’arrive à Auxonne. Une petite ville sympathique avec une très belle église malheureusement fermée. Mon premier réflexe est de boire quelque chose de frais et de manger une glace dans un café PMU. Je m’y sens bien et y reste une heure au frais. Après avoir à nouveau rempli mes bouteilles, je reprends la route à la recherche d’un coin pour mon bivouac du soir.

Le soir

À la sortie d’Auxonne, je longe de longs canaux car la rivière n’est pas toujours praticable. L’homme a su dompter la nature en créant ces immenses voies fluviales. Les rives de la Saône sont quant à elles façonnées pour recevoir les pêcheurs. De petites berges abruptes discrètement cachées derrière la végétation. Rien de très sexy pour établir un bivouac et s’endormir tranquillement. D’autant plus quand il reste des cannettes de bières étalées un peu partout autour des restes d’un feu de bois.

La plupart des spots sont occupés par des passionnés de pêche. J’ai vu un pêcheur sortir un silure d’un mètre environ, qui me disait – l’air blasé – avoir fait une petite prise… C’est forcément une image qui me remontra à l’esprit lors d’une prochaine baignade.

Je commence à m’agacer de ne rien trouver pour dormir… du coup je continue. Le soir arrive, je me pose pour dîner et recharger la batterie de mon panneau solaire avec les dernières lueurs du jour. J’hésite à passer la nuit ici. Un doute renforcé par les appels à la prudence de ma mère qui s’inquiète pour moi. D’autant plus qu’un groupe de pêcheurs vient d’arriver sur place pour, si j’ai bien compris, pêcher la carpe de nuit : pas de répits pour ces poissons.

La nuit

La nuit tombe. Le coucher de soleil se réfléchit dans le miroir de la rivière, l’instant est féerique. Mais je ne trouve toujours rien pour dormir. Je ne regarde absolument plus ma vitesse de marche, la seule chose qui compte est de trouver ce coin pour dormir. Je commence à être vraiment fatigué et j’aimerais bien me reposer tranquillement. Tous mes sens sont en éveil pour repérer une zone herbe idéale qui en définitive n’existe que dans ma tête.

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Les kilomètres défilent et je me rend compte que je ne suis plus très loin de Saint-Jean-de-Losne. Je décide de continuer à marcher de nuit. La fraîcheur me fait du bien. Il commence à me trotter en tête l’idée de raccourcir mon périple d’une journée. Car à ce rythme, si j’arrive à passer cette ville, il ne me restera plus qu’une seule grosse étape. Je sais que je pourrais finir.

Saint-Jean-de-Losne depuis la rive gauche après le coucher du soleil (Côte d’Or).

À 23:00, je passe cette petite ville. Je continue encore un peu pour fuir le tumulte d’une petite ville qui vit sous le rythme d’une soirée techno organisée en bord de Saône. Et enfin, je trouve un petit coin où dormir. Le sol est dur, l’air truffer de moustiques, mais je m’en satisfais. Je viens d’arracher 68 km à ce parcours et ce sera bien assez pour aujourd’hui.

Je m’enfile dans le duvet et me badigeonne de produit anti-moustique en utilisant une quantité à la hauteur de la situation : c.a.d une bonne partie du flacon… Au moment d’éteindre ma lampe frontale, je constate des yeux d’animaux qui m’observent, sans doute des chats étonnés de voir un humain dormir ici. Je m’endors le corps encore chaud de l’effort consenti.

Jour 5 : Saint Jean de Losne – Chalons sur Saône

62 km | 250 m D+ | 300 m D- | 12 h de marche

Le matin

Il est 5:00, je me réveille. La première idée qui me vient en tête est de finir. Je connais ce genre de situation où la fin approche. On se sent partagé entre l’euphorie d’arriver et le désespoir de voir les derniers kilomètres durer une éternité. Woody Allen disait : « L’éternité, c’est long, surtout vers la fin. » C’est toujours la citation qui me vient en tête dans ces moments-là.

Pour réussir un projet quel qu’il soit, il faut savoir se lancer, savoir gérer et il faut aussi savoir finir. Ce sont trois phases complètement différentes qui, grâce à l’expérience, s’appréhendent plus facilement. Aujourd’hui, je dois finir.

Désormais, chaque kilomètre comptabilisé par ma montre – qui m’avertit par une petite vibration – est une victoire. Je me félicite, je m’encourage à haute voix ! Je suis remonté comme une pendule, mais avec la prudence de ne pas m’emballer.

Mon étape du jour se décompose en trois parties. Grosso-modo : 20 km jusqu’à Seurre, 20 km jusqu’à Verdun-sur-le-Doubs et encore 20km jusqu’à Chalon-sur-Saône.

À deux reprises, je me fais passer par des cyclistes vus la veille et surpris de devoir me redoubler une deuxième fois. Les raccourcis empruntés et les heures de marche en sont l’explication probable. Cette petite satisfaction personnelle me fait sourire durant plusieurs kilomètres.

Là encore, la Saône sans doute tumultueuse cède sa place à de longs canaux interminables. La monotonie du parcours avec une ligne droite de 15 km entame ma motivation. C’est dur, mais j’occupe mon cerveau avec des réflexions autour de mes projets professionnels, ça passe le temps.

J’arrive enfin à Seurre : une petite ville vraiment agréable où il fait bon vivre. Je m’arrête dans une boulangerie pour manger un éclair au chocolat et surtout acheter des sandwichs pour le reste de la journée. Je me pose quelques instants et refais le plein d’eau avant de repartir. Je quitte ce petit bourg avec l’envie d’y revenir, je m’y suis senti bien.

Après Seurre, je ressens une forte gêne au niveau de mon pied gauche. Je pense avoir trop serré ma chaussure. Il est 10:00, j’en profite pour m’arrêter casser la croûte à l’ombre d’un arbre et inspecter mon pied. Verdict, mon pied est tout enflé : c’est une entorse. Je suis surpris, car je n’ai pas l’impression de m’être tordu la cheville. C’est comme ça, je dois faire avec… Je calcule qu’il me reste environ 35 km avant d’arriver à Chalon.

L’après-midi

La prise de conscience de ce problème me fait ralentir l’allure. Je décide de poser le pied le plus à plat possible. Le démarrage est difficile, mais au bout de quelques minutes, la douleur s’estompe et devient supportable. Désormais, je ne prendrai plus les sentiers qui raccourcissent mon parcours. Je me limite à emprunter la piste cyclable.

La chaleur est difficile à supporter, il fait 33 °C à l’ombre. On est pourtant loin des chaleurs extrêmes, mais j’en souffre. La solution est de boire beaucoup et d’avancer. Je boirai 7 litres d’eau lors de cette dernière journée.

J’arrive enfin à Verdun-sur-le-Doubs. La vue au loin de la connexion entre la Saône et le Doubs est grandiose. Deux cours d’eau immenses se rejoignent. J’en profite pour faire une pause en buvant un Coca au frais dans un bar. Tous les clients assis devant le journal de Jean Pierre Pernaut donnent leur avis sur à peu près tout. Bien que très sympathiques, je préfère quitter ces autochtones qui me fatiguent plus que les kilomètres.

Le Doubs qui arrive à Verdun-sur-le-Doubs avant de se jeter dans la Saône (Saône et Loire).

Les derniers 20 km se présentent devant moi. Il me reste 4 heures de marche, voire peut être 5 tenant compte de mon entorse qui me ralentit et des pauses à venir. C’est la dernière ligne droite. Comme prévu, les kilomètres défilent lentement. Je l’accepte, quoi faire d’autre ?

Soudain, je commence à voir les tours HLM les plus hautes de la ville de Chalon, puis la grande cheminée de l’usine Saint-Gobain. Le piège de ces points de repère éloignés est qu’ils paraissent tous proches alors qu’ils sont encore loin. J’avance en me relâchant le plus possible. J’avertis ma mère de mon heure d’arrivée probable, puis j’appelle Katy pour dire que je tiens le bon bout. Ces deux appels sont des prétextes pour me remonter le moral.

Le soir

J’entre dans Chalon-sur-Saône, je suis enfin arrivé. Je veux immortaliser mon arrivée, mais la mémoire de mon appareil est saturée. J’ai oublié de le vider avant de partir… La prise de photos n’est plus possible. Je supprime à la hâte quelques photos ratées, mais ce n’est pas suffisant. Je n’aurais pas de photo de mon arrivée, quel dommage.

J’arrive dans le nord Ouest de la ville, partie que je ne connais pas. Pour ne pas à avoir à trop réfléchir, j’utilise l’application de Google Map pour identifier l’itinéraire le plus cours à pied. Les nouvelles technos ont tout de même certain avantages. Encore tout de même 3 km… Je m’imprègne de cette arrivée dans la ville pour ne pas l’oublier. C’est un moment fort du voyage.

Je passe un dernier coup de fil à ma mère pour lui dire que j’arrive dans 2 minutes et qu’elle puisse me voir arriver par sa fenêtre de cuisine. Nos regards se croisent, je suis enfin arrivé. La joie est immense des deux côtés. L’amour ne se mesure pas en kilomètre parcouru, mais mon premier réflexe est de lui dire que j’ai fait ça pour elle. Le temps se suspend quelques instants.

L’heure du repos est arrivée et commence par un verre de blanc cassis. L’alcool me monte tout de suite à la tête. Je suis ivre de bonheur et j’annonce à Katy par téléphone que je suis bien arrivé. Elle nous rejoindra le surlendemain avec Jeanne et sa maman Liliane. La semaine se finie en famille à Chalon avec l’arrivée de mon frère Pierre.

Total : Belfort – Chalon sur Saône

288 km | 3200 m D+ | 3400 m D- | 54 h de marche | 5,3 km/h en moyenne | 4 départements

Le bilan

Le bilan doit toujours se faire en deux temps : à chaud et à froid.

Généralement, à chaud, on est encore dans l’émotion du challenge, on ressent les choses à vif et notamment les derniers kilomètres qui auront été les plus difficiles. Notre corps est fatigué et nos idées sont altérées.

À froid, on prend du recul sur les événements. On savoure le plaisir qui aura été pris durant tous ces kilomètres. On relativise aussi l’exploit en se disant que d’autres ont fait beaucoup plus dans de multiples circonstances.

En tout cas, ça reste une aventure formidable qui m’a fait découvrir comme jamais la beauté des paysages de Haute-Saône et le calme de la Saône. Le rythme de la marche m’a permis d’encrer ce souvenir durablement dans mon esprit.

Mais c’est avant tout une aventure humaine et l’envie d’offrir un témoignage d’amour à ma mère qui sans doute restera longtemps dans nos têtes. La vie est courte, il faut savoir en profiter.

Voilà, c’est la fin de ce récit de voyage. J’espère qu’il vous aura plu et vous donnera envie de marcher.

    2 réponses pour "Défi marche: Belfort – Chalon-sur-Saône. 288 km en 5 jours"

    • Delphine Serrot

      Bonjour, je découvre votre site depuis hier…
      Je me donne donc ce matin à la lecture de votre aventure. Je vous en félicite !!!
      Au plaisir de faire , un jour, la même chose.
      Bravo!

      • Laurent Cachalou

        Bonjour Delphine,
        Merci pour votre commentaire.
        Je vous souhaite de vivre la même chose, sauf l’entorse bien sûr ! 🙂
        Sportivement,
        Laurent

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