Je me suis lancé cette année le défi de réaliser un exploit en marchant. Ce sera de rallier Belfort à Jussey en Haute Saône, soit 92 km. D’après Google Map et avec l’option piéton, il est assez facile de construire son itinéraire et d’avoir une idée du temps de marche.
Afin d’éviter le trafic pour sortir de Belfort et surtout arriver à Jussey pour dîner, je décide de partir à 3:00 du matin. Du même coup, je marcherai un maximum de jour. Avec quel équipement partir ? Bâton ou non ? Je choisi de partir sans bâton du fait du parcours qui empreinte principalement des routes. Voici le récit de mon aventure.
» Jussey est la maison de campagne de François le père de Katy, mon épouse. J’ai souvent eu l’idée de rallier Belfort, mon lieu d’habitation, avec ce lieu de villégiature où nous passons souvent des week-end en famille. J’ai déjà réalisé cette route en VTT et en vélo de route. En ce début d’année, je me suis lancé le défi de le faire à pied. L’idée sera de réaliser ce parcours entre 15 et 18h en marchant, ce qui correspond à une moyenne de marche entre 5 et 6km/h.
La veille du départ, je fais le point sur mes affaires. Je prépare mon sac à dos avec minutie pour laisser un minimum de place à l’imprévu le lendemain matin. Pour allonger le plus possible la période de repos, je décide de me coucher tôt. Je règle mon alarme à 2 :00.
Contre toute attente, je me réveille en pleine forme sans être vraiment perturbé par le peu de sommeil. Un quart d’heure avant le départ, par automatisme, je commence mes échauffements. Je sais qu’il est d’habitude important de s’échauffer, mais dans le cas présent avec les kilomètres qui s’annoncent, je fais du zèle en prenant le temps d’éveiller toutes mes articulations.
Il est 3:00, je pars. Le centre ville de Belfort est encore endormi. Je vois passer quelques noctambules qui rentrent de discothèque. Au loin dans l’avenue Jean Jaurès, j’aperçois le service des poubelles qui est déjà en activité. Un peu plus loin passant devant une boulangerie, je sens les odeurs de viennoiserie. Très vite je sors de la ville après Valdoie direction Evette-Salbert pour prendre Marc au passage qui me fait le plaisir de m’accompagner jusqu’à mi parcours.
Arrivée chez Marc. Je rentre sans sonner. Il est en pleine préparation. Un échange rapide sur le matériel lui permet d’affiner ce qu’il doit emmener. Après un échauffement rapide, nous nous lançons sur les routes de campagne. D’entrée notre rythme est soutenu, nous marchons à 6,3km/h de moyenne sur les premiers kilomètres.
Nous marchons de nuit à gauche de la route avec la lampe frontale. Les kilomètres défilent rapidement. L’effet de la nuit et de nos discussions intarissables font que nous nous retrouvons très rapidement à Champagney puis à Ronchamp pour le lever du jour.
Du fait de l’avance sur notre feuille de route, nous nous accordons une pause après la bifurcation en direction de Malbouhans. Quelques fruits secs, une bonne hydratation et quelques étirements nous permettent de repartir d’un bon pas.
A La Neuvelle Lès Lure nous ressortons la carte car aucune direction n’est indiquée dans le village. En passant en vélo il y a deux ans je m’étais déjà trompé à cet endroit. Après avoir reconnu le bon chemin sur la carte, nous nous apercevons très rapidement que le nom des rues indique souvent le village suivant.
Arrivée à Saint Germain nous pensons faire une nouvelle pause pour nous réchauffer un peu. Le fond de l’air frais et humide associé au vent soutenu fait que je n’ai toujours pas enlevé ni mes gants ni ma veste. Nous croisons une bonne sœur qui nous indique un bistro de campagne très bien tenu.
Arrivée au bistrot, nous rencontrons les habitués qui après quelques échanges sont effarés de l’ampleur de notre entreprise. Certains se demandent quel emploi nous avons pour avoir l’envie de marcher si longtemps après une semaine de travail. Le patron du lieu se rappelle, quant à lui, ses souvenirs de l’armée où il marchait 100 km en plusieurs jours avec son fusil et son sac à dos. Après un bon café chaud et des encouragements nous les quittons pour reprendre notre route en direction de Franchevelle.
Nous traversons un long bois en empruntant un chemin qui nous change des routes de campagne. Cette rupture de cadre n’est pas pour nous déplaire. Car un des ennemis d’une longue marche est la lassitude. Chaque village traversé marque une étape de franchie qui mentalement nous permet de concrétiser notre progression. Mais à ce moment du parcours, la distance entre les villages s’agrandit, nous avons l’impression de ne pas avancer …
L’heure de midi approche, nous décidons de nous arrêter à la Chapelle lès Luxeuil pour déjeuner. Une petite rivière avec un magnifique point en grès Rose nous invite à une pause bien méritée. Un petit banc en pierre fera office de table pour notre repas. Liliane, la maman de Katy, nous avait préparé une salade de riz en quantité astronomique … qui finalement a été engloutie presque totalement. Après avoir fait le point sur le lieu de notre séparation, nous repartons.
Arrivé sur le bord de la N57, nous nous arrêtons. Nos chemins vont se séparer. Marc part sur Vesoul retrouvé Nathalie, son épouse, et moi je continu ma route. Nous nous embrassons et je repars en direction de Baudoncourt. Même si je me sens bien à mi parcours, j’ai du mal à rassembler toute ma motivation. La première partie du parcours aura été motivée par un défi partagé, l’idée de vivre ensemble un moment fort. La deuxième partie sera un moment de repli sur soi, de questionnement sur le sens même de ce défi : pourquoi faire cela ? A quoi bon réaliser quelque chose d’incroyable sans pouvoir le partager.
Sur le long chemin caillouteux menant à Sainte Marie en Chaux, le soleil apparaît. Cette chaleur me redonne le moral, mon rythme est à nouveau soutenu. J’arrive rapidement à Abelcourt. J’avais imprimé mon plan sur trois pages. A la sortie de ce village, j’attaque le dernier volet de mon parcours, tout un symbole qui témoigne du rapprochement de l’arrivée.
Je quitte la D6 et m’oriente sur un long chemin jonché d’arbre en travers qui sont là comme pour me dire : attention ne pas passer, DANGER ! Au bout de 2 km le chemin s’arrête et un immense bois se dresse face à moi. Je contrôle ma carte qui m’indique bien un chemin … mais il n’existe pas. Je vois se dessiner un chemin forestier à peine marqué sur lequel je m’engage, mais au bout de 100 m j’arrive dans les ronces. De deux choses l’une, soit je fais demi tour pour reprendre une route, quitte à rallonger mon parcours, soit je continu. Je sors ma boussole et je décide de continuer à l’azimut.
Je ressens la notion de danger : je suis seul dans une zone loin de toute habitation et mon téléphone ne capte pas. Mon instinct me fait accélérer le pas comme pour raccourcir ce moment peu rassurant. Malgré tout, cet événement renforce l’idée d’aventure de mon projet. Au bout d’une demi-heure de marche à l’azimut dans le « bush » je retrouve un chemin balisé par d’ancienne borne en pierre. Etant toujours dans la bonne direction, je le suis. Assez rapidement, je retrouve un chemin plus important puis j’entends au loin des bruits de tronçonneuses. Enfin un signe de vie !
Je retombe sur la route de Conflans sur Lanterne. A ce moment là mon allure diminue, je paye l’énergie laissée dans la traversée du bois. Les distances entre village s’allongent encore, je commence à ressentir des douleurs aux jambes. Je décide de m’arrêter à nouveau pour finir ma salade de riz. Au moment de me relever, je ressens une douleur vive au niveau des adducteurs. Je commence à penser à arrêter. Pourquoi se faire mal à ce point. Malgré tout, au bout de 2 km les douleurs s’atténuent, je continue.
Je traverse Bourguignon les Conflans en espérant voir un panneau indiquant un kilométrage jusqu’à Jussey. Il n’y a en aura pas. Sur la route de Cubry, je reçois un appel de François qui m’encourage. Je lui demande de m’indiquer le nombre de kilomètres me restant à faire en espérant que se soit environ 20-25 km. Après consultation de sa carte, il me rappelle et m’indique 30 km … Là, je prends un coup au moral mais je continue car malgré tout très content d’avoir renoué un contact. Peu de temps après, katy prend de mes nouvelles par téléphone. Inquiète, elle propose de venir me chercher. Mais je la rassure en lui disant que tout va bien. C’est dur mais tout va bien.
En arrivant à Menoux, le ciel s’assombrit avec de gros cumulus noirs gorgés d’eau, le vent se lève et je commence vraiment à avoir froid. Je fais une pause et j’appelle Marc pour confirmer le kilométrage et pour lui donner mon état psychologique du moment, je suis prêt à arrêter. C’est très dur… Après 5 mn de pause, mon corps se refroidi encore plus, je décide à ce moment de courir pour me réchauffer. Un moment magique ! Le fait de courir me réchauffe et en même temps me dénoue les jambes. Je viens de trouver le rythme qui me permettra de finir. J’enchaîne les kilomètres à une vitesse plus soutenue en alternant marche et course. J’abandonne l’idée de faire la distance en marchant, mais je la ferai tout de même à pied …
Arrivé à Contre Eglise, je n’ai plus d’eau. Au moment de la pause de midi Marc m’avais rempli ma poche à eau de 2 litres, mais là j’étais au bout de ma réserve. Je vois au loin deux personnes décharger du bois. Je m’approche et leur demande de l’eau. D’un air méfiant au départ, ils m’ouvrent la porte de leur maison après leur avoir expliqué mon aventure. J’en profite pour me réchauffer quelques instants dans la cuisine. Sans m’attarder, je repars en courant direction Venisey. La route est longue et la fatigue se fait de plus en plus sentir. Au passage de Venisey, je sens que la fin est proche. Je sers les dents et je prends sur moi. La route jusqu’à Cendrecourt est interminable. J’imagine découvrir le village derrière chaque colline et à chaque fois la route continue …
J’arrive enfin à Cendrecourt. François vient à ma rencontre avec mes filles Marie et Jeanne. C’est un moment très fort. Sur les derniers kilomètres jusqu’à Jussey, je repenserai à cette rencontre. François m’invite à monter en voiture, mais je décline. Il est important pour moi d’aller au bout par mes propres moyens. Arrêter là serait comme si je faisais un marathon sans passer la ligne d’arrivée. Je continue en décomptant les 3 derniers kilomètres.
Enfin j’arrive à Jussey à 19:19, mon premier réflexe est d’appeler Marc pour lui annoncer la bonne nouvelle et partager avec lui ce moment de bonheur. Je fais le dernier kilomètre en marchant comme pour profiter des derniers instants. Je savoure la remontée de la rue de la libération menant jusqu’à la maison. Un nom qui traduit un sentiment de délivrance, c’est enfin fini. Je viens de réaliser un défi incroyable qui restera longtemps dans ma mémoire. Je retrouve les miens qui me voient comme le héros d’une journée. Je suis heureux, extrêmement fatigué mais heureux. »
« L’important n’est pas le chrono mais bien l’aventure vécue et partagée. »
Bonne marche et à bientôt sur EnvieDeMarcher.com !
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8 réponses pour "Défi marche : Belfort – Jussey à pied – 92km"
bonjour !
Par ton écrit j’ai pu revivre moi même une marche que j’avais faite par deux fois (une en solo et une avec ma soeur) de 100 km (entre Belfort et chatenois en Alsace) mais parcourue en 35 heures (sac à dos, chaussures de marche, tente…).
Oui des moments de solitude… d’émerveillement (comme manger une simple pomme directement de l’arbre)…d’échange.. de méditation… de fantaisie (dormir sur un stade !)…
Merci pour cette lecture et bonne continuation
Laurent
Merci pour ce retour d’expérience. Comme quoi la simplicité d’une longue marche se transforme vite en une expérience riche et pleine de sens.
Laurent.
Bravo pour cette dure, mais néanmoins belle aventure que tu nous as fait partager. Ce récit montre bien que l’on a en soi des ressources et des forces que l’on n’imagine pas. Gérard
Merci Gérard. C’est vrai que nos ressources physiques et mentales nous permettent d’aller très loin.
Ensuite c’est une histoire d’humilité et de volonté. Humilité pour connaître ses limites et volonté pour durer.
A bientôt,
Laurent
bravo! bravo! comme tout cela est excitant et donne envie!
Bravo pour cette performance, et ce récit. Ca donne vraiment envie.
Sylvie
Bonjour Laurent,
En cherchant des infos sur la préparation physique nécessaire à une longue marche, je suis tombée sur votre blog, et votre page Facebook. Je crois que j’ai lu quasiment tous les articles et certains plusieurs fois!! C’est vraiment très riche et tres motivant. Merci.
Je suis greffée bi-pulmonaire depuis bientôt 18 mois. La marche ayant fait partie de mon réentrainement à l’effort avant la greffe, et apres la greffe, et n’ayant pas réussi à me remettre à la course comme je le désirais, c’est tout naturellement que je me suis mise à marcher de plus en plus, plus vite, plus longtemps…puis, avec la lassitude, je me suis décidé à m’inscrire dans un club de marche nordique. Ca a ete le coup de foudre. J’y ai entraîné mon mari qui lui aussi a complètement adhéré!!!
Il envisage aujourd’hui de ce préparer pour faire un 24h de marche nordique. C’est d’ailleurs ce projet ( qui me semble un fou 🙂 j’avoue) qui m’a permis d’arriver sur votre site. En lisant ce témoignage sur votre longue marche, je me demandais depuis co ien de temps vous faisiez du sport? Et de la marche? J’ai compris que vous aviez déjà fait ce parcours à vélo au moins deux fois ( VTT et route) vous êtes donc plutôt bien entraîné, non?
Que diriez vous à quelqu’un qui n’a jamais été un grand sportif, s’il se lançait dans un tel projet de marche longue? Mon mari se donne 2ans pour acquérir la condition physique. Qu’en pensez vous?
Sportivement
Nathalie
Bonjour Nathalie,
Lorsque je me suis lancé dans cette longue marche, effectivement je m’étais bien entrainé.
Ceci dit, l’endurance est quelque chose qui s’acquiert sans forcément avoir été un grand sportif. Le tout est de repousser ses limites progressivement afin d’habituer son corps dans la durée. Je pense que votre projet est réaliste. N’hésitez pas à jalonner votre progression avec un défi intermédiaire de 12h. Ce sera pour vous l’occasion de tester votre forme, votre matériel et votre alimentation.
Sportivement,
Laurent